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Ascension du Chachacomani

21 avril 2016

Montagnes

J´avais souvent rêvé de ces hauteurs andines, ces sommets de hautes voltiges recouverts d´immensité neigeuse… Mais jamais je n´avais pensé qu´un jour je pourrais les atteindre. Le mois d´avril arrivant et le soleil pointant de nouveau le bout de son nez, nous sommes partis avec l´équipe des guides de haute montagne effectuer l´ascension du Chachakumani un sommet à 6074 mètres, voisin des autres beaux 6000 de la Cordillère Royale.

 

En ce vendredi de Pâques, nous nous dirigeons vers la vallée de Cruz Pampa où notre équipe de muletiers nous attend afin de nous aider à transporter notre nourriture, les tentes et une partie du matériel. Il nous faut désormais marcher jusqu’ au premier campement.

 

Le camp de base, situé au fond de cette longue vallée, est uniquement accessible à pied, pas de route, juste les montagnes, les rivières et le silence… Le chemin est doux pas encore de pentes escarpées, tant mieux, on garde des forces pour les efforts des jours suivants. On randonne tranquillement accompagné des alpacas, des lamas, des moutons et des chevaux sauvages. Le paysage est digne d´un décor de film. Au fond, on aperçoit les hauts sommets enneigés, on traverse la rivière où les chevaux s’abreuvent et galopent sur cette étendue verdoyante, comme un air de Patagonie…

 

Nous arrivons au camp au bout d´une heure et demie, on installe les tentes, les garçons préparent le maté, mettent en place les popotes pour notre repas du soir. Un des gars se lance dans le défi d´allumer un feu de camp à 4460 mètres d´altitude, tout le monde se prend au jeu et part chercher des herbes, des branches pour se réchauffer. Trois heures après, nous mangeons notre potage autour d´une belle flambée et sous la pleine lune. Une vraie ambiance de feu de camp, on se raconte des anecdotes et nous nous endormons en pensant à l´étape du lendemain.

La nuit a été bonne, on se réveille avec le soleil et tout excités d´entamer la montée vers le camp haut, on se rapproche de l’ascension! L´objectif de cette seconde journée est d´arriver au camp haut situé à 5125 mètres au pied du glacier. On monte un premier chemin un peu pentu qui nous mène sur une petite vallée perpendiculaire située à 4775 mètres. L´oxygène se fait plus rare et je le sens. Ma respiration est plus lente, mon souffle se coupe. Je commence à imaginer ce que va être l´ascension de cette nuit et j´appréhende un peu. Je mélange à cet instant beaucoup de sentiments entre excitation de relever ce défi incroyable d´atteindre un 6000 mètres et l’appréhension de ne pas y arriver par manque de conditions physiques, d´oxygène, du mal d´altitude. Je me reprends et poursuis la montée suivante, raide et dans un chaos rocheux. Malgré cela, il faut économiser ses forces pour la nuit qui nous attend… Les mules se sont arrêtées avant cette pente raide car elles ne peuvent pas aller plus haut, le chemin est trop escarpé pour elles. Les muletiers nous aident donc à porter tout le matériel, ils sont en sandales et montent telles des vigognes, c´est impressionnant ! J´ai du mal à me dire que je vais si lentement quand je vois le poids de leur sac, c´est leur terrain de jeu et cela se voit.

 

Au bout de 2 heures de marche intense, nous arrivons au camp haut. Nous installons les tentes entre les pierres avec l´aide des muletiers et essayons de nous reposer avant l´ascension prévue à 1h du matin. Le réveil est à minuit, j´ai donc déjà préparé mon matériel : harnais, crampons, plusieurs couches de vêtements, casque, lampe torche, je n´ai visiblement rien oublié. Je tente de dormir mais me retourne sans cesse prise par les maux de tête et la nausée dus à l´altitude. Je commence à ressentir l´anxiété.

Je pense et repense au déroulement de l´ascension : comment vais je pouvoir cramponner 7 heures d´affilées ? Et s´il y a des crevasses, comment dois je faire ? Si je n´arrive pas au sommet comment me sentirais-je ? Puis le réveil sonne et il est l´heure de se préparer. J´ai l´estomac noué, je ne peux rien avaler. Je veux juste partir et savoir comment cela se passe. Mon guide Nolberto, qui va m´accompagner lors de cette ascension, vérifie mon matériel. Il semble tellement serein que cela me met en confiance, je sais que je suis entre de bonnes mains. Il m´aide à mettre mes crampons et nous nous lançons sur la première pente qui me semble vertigineuse. La pleine lune est présente et illumine la neige qui scintille, c´est magnifique…

 

Je commence à cramponner et la sensation est extraordinaire, je crie : « mais c´est génial ! »

 

J´entends les rires d’Anne plus bas. Je suis avec attention chaque pas de Nolberto dans la neige, je n´ai jamais été aussi concentrée. L´ascension a commencé, les autres me doublent rapidement, je reprends mon souffle, j´ai du mal à trouver mon rythme, mon estomac me fait terriblement mal, j´ai la nausée et cela a à peine commencé, ça promet ! Je continue dans la nuit à suivre Nolbe qui m´encourage et me demande toutes les 10 minutes si je me sens bien. Je lui réponds que j´ai des nausées à chaque pas que je fais, il me dit que tout ira bien et qu´il faut que je marche très tranquillement. Je continue en faisant des pauses en reprenant mon souffle tous les cinq pas et lutte contre la fatigue qui est tout aussi présente. On aperçoit les crêtes des montagnes grâce à la pleine lune, cela me permet d’oublier un instant mes douleurs. Arrivée à deux tiers du chemin, je dis à Nolbe que les douleurs ne passent pas, les crampes s´intensifient, je veux abandonner. Il me propose de continuer un peu plus et qu´on pourra redescendre plus tard si ça ne s’arrange pas.

 

Le jour se lève peu de temps après, je ne saurais pas vous dire combien de temps, j’ ai perdu cette notion qui nous poursuit dans « le monde d’en bas ». Je me fie aux lumières qui se posent sur le glacier du Chearoco juste en face. Le massif est rosé, la neige s’apparente à un désert de coton, je me sens seule au monde mais…quel bonheur ! Plus rien ne compte, j’ oublie tout, je suis contemplative et respectueuse de ces hommes qui nous permettent de vivre des moments comme ceux là. L’ humilité qu’ ils ont ne vient pas de nulle part… Je vois Nolbe qui s ‘arrête et se retourne vers moi, il me dit « c ‘est magnifique n ‘est ce pas ?» je le sens tout aussi ému et pourtant il a dû en voir des matins comme celui-là.

Au loin, j’aperçois le reste de l’équipe longer cette crête qui me paraît interminable vue d’en bas. Je ressens alors de l’énergie, celle de vouloir les rattraper, de vouloir dégager la capacité physique et mentale d’arriver au bout, de ne pas avoir fait tant de chemin pour ne pas voir le sommet, un de ceux qui m’avait fait rêvé lorsque Anne en parlait avec cette passion. Déterminée, j’interpelle Nolbe et lui dis : « moi aussi je suis capable de monter là haut, je ne sais pas où je trouverai l’énergie mais on montera au sommet tous les deux», il sourit et me dit « bien sûr qu’on montera »… Une heure trente plus tard, j’entame les derniers mètres qui mènent à la cumbre, je vois Sergio assis au sommet du Chachakumani m’ encourageant, Anne plus bas observe mon avancée, personne n’ avait pensé que j’ y arriverai. J’entends des cris, cela m’ encourage , je sens leur soutien. Nolberto se retourne : «Tu vois on y est arrivé ». Je lui souris, ne réponds rien mais il comprend la reconnaissance que j’ai envers lui pour m’ avoir appuyée sur ces sept heures d’ ascension.

 

Nous arrivons au sommet, on y est ! Vraiment ? Je n’y crois qu’ à moitié, j’ embrasse mon guide et le serre bien fort. Je le sens très ému, il doutait que j’ arrive au sommet sûrement tout autant que moi , enfin… c’ est ce que je pense. Anne est tout aussi émue, elle me saute dans les bras et me fait remarquer que mon mental a joué en ma faveur. Les autres guides se rapprochent et me félicitent , Rolando me glisse, « Je pensais que tu aurais abandonné» puis me tape dans l ‘épaule. J’écoute à peine ce qu’on me dit, je suis happé par ce que je vois… le Chearoco comme voisin. Les autres sommets de la Cordillère Royale me paraissent intimes, je partage leur secret. Je suis à 6074 mètres dominant le Lac Titicaca, les lagunes d’ altitude, c’ est juste beau et silencieux …

Je ne réalise qu’à moitié où je suis, comme déboussolée. Et maintenant ? Il ne nous reste plus qu’ à faire le chemin inverse, redescendre jusqu’à la vallée de Cruz Pampa, 7 heures de marche nous attendent mais peu m’ importe, j’ ai réalisé un incroyable défi que je ne suis pas prête d’oublier…