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Adieu le Huayna Potosi, plus jamais une ascension de ta Face Ouest

10 juillet 2019

Montagnes

Ne jamais dire jamais… du moins à une ascension

Je crois que jamais au grand jamais, l’idée de refaire la face ouest du Huayna Potosi, ne me serait venue à l’esprit. Je l’avais fait en 2011 et je ne comptais pas le refaire. C’était fait, point barre.
Mais Hugo a commencé à en parler. Cette face Ouest, jamais personne ne l’avait filmée. Milton en rajoutait…cela serait en effet sympa d’avoir de belles prises de vue de cette paroi mythique pour le documentaire qu’il voulait faire sur mon parcours d’andiniste.

Faire la Face ouest sans savoir dans quoi on se lance est une chose. En 2011, je m’étais lancée de manière insouciante. Certes, ce mur de 1000m de dénivelé me faisait peur à l’époque, mais, je ne réalisais pas vraiment. Cette fois-ci je savais exactement ce qui m’attendait et c’était une autre histoire de décider de se lancer sur cette terrible paroi. Je n’ai pas trop eu le choix. L’idée s’est imposée à moi. Voyant l’enthousiasme de tout le monde, je ne pouvais pas refuser. Hugo avait prévu qu’on y aille début juillet. Mais, finalement, mi juin, le grand froid était bien arrivé et les parois commençaient à se transformer en glace. Il ne fallait plus attendre. Il fallait y aller de suite, là dans quelques jours……j’ai alors été prise de panique. Je me voyais sur la paroi. C’est vertical, sans fin, j’avais souffert sur les dernières longueurs. Les conditions ont bien changé depuis 2011, les glaciers ont fondu, le gros sérac au milieu semble avoir diminué de moitié, les rochers sont plus apparents et les pentes se transforment en glace vive. Je me suis mise à regarder des photos de cette paroi. J’en avais des frissons. J’étais alors bien consciente de ce que j’allais faire. Je n’avais plus le même âge. Et si je calais en plein milieu de la paroi. Dix jours plus tôt, un ami s’était tué en faisant la « direct » du Pequeño Alpamayo. Il avait chuté de 180m à cause d’une erreur grossière. Il s’était lancé trop confiant et n’avait pas assez sécurisé son ascension. Pour moi, la mort de Didac m’avait choquée et surtout je réalisais une fois de plus que l’on pouvait vraiment se tuer en montagne. Je crois même que je ne l’avais jamais ressenti aussi fort et aussi réel que cette fois-ci.
Le départ était prévu pour le dimanche suivant. Je ne dormais plus les nuits. Je me remémorais les moments passés sur cette paroi, sa verticalité, sa dangerosité. Je ne trouvais alors plus le sommeil. J’essayais de me résonner en me rassurant sur le fait que je serai entourée de deux très bons guides et nous allions grimper avec le maximum de sécurité…mais rien n’y faisait. Trois jours avant le grand départ, une crise de diarrhée aigue me terrassa….sur la paroi, cela ne pouvait pas arriver. J’ai même cru que j’allais devoir annuler. Mais, non, tout était prêt, nous étions déterminés et moi shootée à l’Immodium.

L’heure de ma deuxième ascension de la Face Ouest du Huayna Potosi sonna

Le dimanche, nous sommes partis, Hugo et Ignacio, mais aussi Milton, le cinéaste et Cecilio, un autre très bon guide qui allaient nous attendre sous le sommet, sur un replat qui domine la paroi. Nous allions avoir des vues splendides !
Je me sentais finalement plus détendue. On y était. La paroi était bien là. Je me résonnais, je l’avais déjà fait, et puis je suis très entraînée depuis un an. Je me sentais plus en forme maintenant qu’il y a quelques années. Cela devrait compenser ces quelques années de plus !! L’ambiance était détendue, on rigolait. Hugo et Ignacio scrutaient tout de même la paroi.

La nuit fut très courte. Je ne trouvais pas le sommeil…et je n’étais pas la seule. Chacun était plongé dans ses pensées et finalement, soulagé quand le réveil a sonné. Il valait mieux être en action qu’en attente dans l’angoisse.
C’était parti. J’étais en forme, malgré le manque de sommeil. L’approche se fit tranquille. A la lueur de la lune, je voyais les parois verticales briller sous sa lumière ….et ça, cela me faisait frissonner. Si réellement, nous allions passer par des parois en glace vive, je ne savais pas comment j’allais réagir. Nous commençâmes à grimper petit à petit. Les pentes sont plus tranquilles au début et se relèvent au fur et à mesure de la progression. J’étais très concentrée sur mes pas, ma progression. On alternait des conditions excellentes et des passages en glace. Mais, les pentes n’étaient pas encore très raides et je passais sans problème. Je regardais toujours avec anxiété les parois brillantes au-dessus de ma tête. Je me rappelle que nous sommes montés assez tranquille durant la nuit. Il y avait des traces d’avalanche car nous étions sous le sérac.

Au lever du jour, nous passâmes la rimaye au niveau d’une grosse crevasse.

Quand le doute s’installe et que le danger ne te quitte plus ….

Le premier événement fut une énorme avalanche déclenchée par une chute de sérac sous nos pieds. Nous étions vers 5600m d’altitude. D’abord un bruit sourd, comme une détonation…au début j’ai cru au passage d’un avion à réaction…puis, j’ai vu un nuage de neige sous nos pieds et je pouvais lire la terreur dans le regard d’Hugo. Il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une avalanche juste sur la trajectoire que nous venions d’emprunter. Ouahhhh !!! La réalité de la mort possible m’avait alors rattrapée. Le danger est alors palpable, pour la première fois je peux ressentir la peur de chuter et la mort omniprésente. Nous poursuivîmes notre ascension vers le haut. L’échappatoire par le bas avait pris des allures de danger imminent. Les heures passaient. Nous progressions lentement. Ignacio mettait 5 ou 6 assurages sur chaque longueur de 50m. Cela était préférable. Nous partions alors en diagonale vers la droite pour rejoindre le dernier couloir qui menait au sommet et à l’endroit où se trouvait Cecilio sous le sommet. A plusieurs reprises, j’ai senti Ignacio réticent. Il était en tête. Ignacio est un excellent guide, le plus physique, un peu « tête brulée ». Je ne l’ai jamais vu avoir peur. Il rigole et fait des blagues quel que soit les conditions. Mais cette fois ci, je l’ai vu monter tout en hésitant, son regard en disait long parfois. Il mettait beaucoup de broches à glace et de pieux à neige, plus qu’à la normale. Une fois réellement, j’ai vu la peur dans son regard. Le bruit provoqué par son piolet laissait penser qu’une plaque entière allait se décrocher. Le deuxième coup de piolet confirma le bruit et le doute. Il se mit à douter pas mal, essaya de sécuriser le passage avec un pieux à neige et poursuivit plus haut !! A ce moment là aussi, Hugo eut peur. Je crois que je n’étais plus la seule à ressentir cette peur omniprésente. Nous étions alors vers 5700m d’altitude.
Nous poursuivîmes notre traversée en diagonale. Cecilio commençait à s’impatienter sur son mirador. Il ne pouvait pas nous voir. Il nous appelait par la radio. Il fallait sortir dans le dernier couloir, le long d’énormes séracs pour qu’il puisse nous apercevoir. Et pour cela il fallait arriver vers les 5900m d’altitude. Il devait être midi ou 13h00, le soleil avait fini par nous atteindre, et je profitais de la chaleur procurée par les rayons de soleil ! Nous avions décidé de passer le plus à droite possible le long des séracs car les rochers au-dessus de nos têtes ne nous disaient rien qui vaille.

Avant de rejoindre le couloir, une plaque de glace nous bouchait le passage. Il n’y avait pas d’échappatoire. Il fallait la passer. Ignacio passa un peu hésitant et tremblant. Hugo passa plus tranquille car encordé….mais je le vis en panique à l’idée de savoir que je devais passer. En effet, je voulus passer puis revins en arrière. C’était terrifiant. Le piolet n’accrochait pas. Il fallait traverser avec uniquement les deux pointes des crampons, toute en tension…autant dire qu’il était quasiment sûr que j’allais glisser. Hugo en était persuadé. Ignacio criait que je devais passer sans tarder et que, de toute façon, la corde allait me retenir. Mais, je pouvais aussi me blesser voire entraîner toute la cordée avec moi. Je me concentrai alors, pris mon souffle et passai super tendue, le souffle coupé, pour rejoindre d’une traite Hugo de l’autre côté. Il était fou de joie et impressionné. Je m’impressionnais moi-même. Nous rejoignîmes Ignacio à l’entrée du couloir vers 5900m.

Sortir vivant du couloir de la mort

Je commençais à fatiguer. Les 10 derniers mètres de chaque longueur étaient un cauchemar. Mes mollets étaient en feu en tension sur la paroi. Mais bientôt, nous allions arriver dans le couloir et voir le sommet et Cecilio. 130mètres plus haut, Cecilio nous attendait avec impatience et 50 mètres encore plus haut le vrai sommet. Au moment de nous remettre en mouvement, un bruit sourd nous fit sursauter, pas aussi fort que celui de l’avalanche de la matinée, mais similaire. Sous nos yeux ébahis, le couloir fut balayé par une avalanche. Un morceau de sérac s’était détaché. Il y eut un moment de silence. Nous aurions pu être là à ce moment-là. Heureusement que j’avais tardé sur le passage en glace. Aurions-nous résisté à l’avalanche ? Je restais tétanisée, je regardais simultanément Hugo et Ignacio, qui ne disaient rien. Cecilio devait se demander si nous allions bien. Je pensais redescendre. Trop dangereux de nous engager dans ce couloir…mais les gars ne disaient toujours rien. Je savais que redescendre les 900m que l’on venait de monter était plus dur, plus long et tout aussi dangereux. Il valait mieux monter les 180m qui restaient. A ce moment-là, j’entrais en panique, je n’en pouvais plus de la verticalité, il fallait que je sorte de cette paroi et que je m’éloigne du danger. Nous avions une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. A tout moment, nous pouvions être balayés, et chuter jusqu’en bas avec une mort certaine. J’avais une boule au ventre et je voulais me mettre en sécurité. Ignacio a alors dit « on y va » et nous nous sommes lancés dans le couloir.

Je regardais en haut, nous progressions au milieu des rochers épars et soudain, je vis nettement Cecilio et le sommet. Cecilio avait lancé une corde depuis son promontoire. Nous avions décidé de ne pas sortir par le vrai sommet 50 mètres plus haut, mais d’échapper au danger de la paroi par le promontoire où nous attendait Cecilio. C’est à ce moment là que j’ai commencé à me mettre à pleurer jusqu’à pouvoir sortir sur le promontoire. Ces derniers mètres en glace pour nous extirper de la paroi furent une torture. Je ne pouvais croire qu’on était enfin revenu au monde horizontal, sans danger imminent….je pouvais admirer les paysages. Cette sortie par le col de la voie des Français était splendide…..nous étions restés 15 heures sur la paroi. Nous attendaient encore 5 heures jusqu’à la voiture. Mais cela ne m’importait peu. J’étais en vie, nous étions tous en vie !