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Sur les thakis de Bolivie

22 octobre 2019

Decouvertes

Texte et photos : Didier Winderickx

A 37 ans, amoureuse de la Bolivie et passionnée de montagnes, Anne Bialek renonce à son emploi d’ingénieur dans la construction automobile, à sa villa à Cavaillon avec vue sur le Mont Ventoux et à plus encore… Elle travaille pendant deux ans pour une agence de voyage de La Paz pour ensuite, avec Jérôme Benassi, fonder sa propre agence, « Thaki Voyage ». Thaki signifie tout simplement « chemin » en Aymara. Après 10 ans d’activité, elle s’est forgée une solide réputation, basée principalement sur le bouche-à-oreille. Son approche est éthique et respectueuse des communautés locales.

Il a suffi de glisser cette info à l’oreille d’Eric… et en ce mois d’août, nous sommes huit participants à nous élancer sur les « thakis » de Bolivie.

Dès l’atterrissage, les effets de l’altitude se font sentir. Il faut dire que l’aéroport de La Paz – El Alto, situé à 4061 m, est le plus haut du monde. Froilan, le chauffeur de notre minibus, nous propose d’emblée un maté de coca ; ça aide ! Lui, en tout cas, ne se sépare jamais de son petit sachet de feuilles de coca ; il en rajoute régulièrement quelques-unes en bouche, quitte à avoir une grosse joue, pour en extraire le jus. Nous aurons tous l’occasion d’essayer cette technique… On ne peut pas dire que ce soit très bon ! Personnellement, cela me fait penser à de vieux épinards…

A notre hôtel de La Paz, Anne nous fait un briefing complet de notre séjour et de notre trek dans la Cordillère Royale, avant de nous confier à notre guide, Javier. Celui-ci maîtrise parfaitement le français. Il nous fait visiter quelques incontournables de La Paz, dont le « marché des sorcières ». La plupart des Boliviens, depuis la conquête espagnole, sont catholiques mais ils restent très attachés à leurs traditions ancestrales, inspirées des civilisations pré-incas, composées de nombreux rites.

Javier nous présente notamment Ekéko, un petit personnage rondelet, rempli de petits objets à la façon sapin de Noël. La tradition voudrait que si on lui achète en petit, un objet que l’on souhaite, il sera plus facile de l’obtenir en grand. Cela fonctionne par exemple pour les voitures, pour les maisons et même pour les diplômes ! Avis aux étudiants !

La Pachamama, la Terre Mère, est également honorée en de nombreuses occasions. Lors de l’apéro – et oui, même en trek, nous recevions notre apéro – les Boliviens réservent la première gorgée à la Pachamama en en versant un peu par terre, tout simplement. A propos, « santé » en Aymara, se dit « Hayaya » ; c’est toujours bon à savoir !

En effet, l’espagnol est la langue véhiculaire mais les principaux groupes ethnolinguistiques sont le Quechua et l’Aymara.

Depuis La Paz, nous parcourons 70 km dans l’Altiplano pour découvrir le site de Tiwanaku. La  civilisation Tiwanaku est une civilisation pré-inca qui a dominé la moitié sud des Andes centrales entre le Vème et Xième siècle. Nous découvrons la pyramide d’Akapama et sa fameuse Porte du Soleil, le temple de Kalasasaya et les monolithes « Benett », « Ponce » et « Kon-Tiki », que certains archéologues rapprochent des Moaïs de l’île de Pâques.

Nous arrivons ensuite au monastère José Ferrari, à Chuquinapi, juste à temps pour assister au coucher du soleil sur le lac Titicaca. Nous y passons deux jours, agrémentés d’une balade en catamaran. Moment sublime sur le grand bleu. Situé à 3800 m d’altitude, il s’agit du plus haut lac navigable au monde.

Etape suivante, nous sommes accueillis chaleureusement par des familles de la communauté de Santiago de Okola. Notre guide local et Javier nous expliquent que chaque village est organisé en communauté. Il revient tour à tour à chaque famille d’en désigner le chef pour une durée d’un an. Nul ne peut se dérober à cette responsabilité. Le chef de la communauté prend les décisions administratives, rend la justice, règle les questions d’héritage et tout litige… Refuser de se conformer à sa décision n’est pas un acte anodin. Cela peut se régler par la bastonnade ou, dans les cas plus graves, par l’exclusion de la communauté.

 

Après une démonstration de tissage traditionnel, nous effectuons une balade d’acclimatation sur le « Dragon endormi » (4095 m alt.). Le panorama sur le Titicaca est superbe.

Avant le repas du soir, le chef de la communauté nous organise une cérémonie d’offrande à la Pachamama afin d’apporter protection à notre petite expédition. Le soir, danses traditionnelles en notre honneur, autour du feu. Les chansons boliviennes ne sont pas vraiment courtes ; vous y ajoutez la fumée du feu de bois à chaque passage, sans compter l’accélération du rythme à la fin de chaque morceau, le tout à près de 4500 m d’altitude… ça, c’est de la bonne acclimatation !

Mais nous n’en avons pas terminé avec notre acclimatation ! Le lendemain, départ pour l’ascension du pic Austria qui culmine à 5300 m. Les 920 m de dénivelé en valent la chandelle. Du sommet, le panorama sur le massif du Condoriri est exceptionnel.

Nous passons une nuit à Sorata, à (seulement) 2600 m d’altitude. Dans ce village, niché au fond d’une vallée au pied du massif de l’Illampu et de l’Ancohuma, nous profitons à fond du répit que nous offre ce petit paradis tropical.

Les choses sérieuses commencent ! Un minibus qui se prend pour un 4×4 nous mène au départ du trek. Nous y retrouvons Henry, notre guide de trek, dont nous avions fait la connaissance à Tuni. Les muletiers et leur douzaine de mules sont au rendez-vous. Fransisco et son épouse Rogelia s’affairent à trier les provisions. La cargaison est imposante. Pendant que tout ce petit monde s’agite, nous entamons la montée. A peine une heure ou deux plus tard, la caravane de mules nous rattrape et nous laisse quasi sur place. Notre couple de cuistots n’hésite pas non plus à emprunter des raccourcis, plus raides évidemment, afin de nous précéder à notre destination du jour et déjà préparer notre repas. Nous, nous sommes attentifs à bien contrôler notre respiration… Restons humbles !

Nous atteignons la Laguna Chilata (4200 m alt.) en début d’après-midi. Repas et bivouac sur les abords du lac. L’après-midi, les éléments se déchaînent. L’accalmie qui suit nous révèle un paysage grandiose.

Deuxième jour de trek. Dans un passage étroit, un gros bloc bascule sur le pied de Philippe. Le malheureux préfère continuer à marcher et attendre la fin de la journée avant d’enlever sa chaussure…

Le chemin s’élève et se termine par une petite séance de crapahute sur moraine jusqu’à la Laguna Glaciar (5045 m alt.). Nous mesurons notre chance de pouvoir admirer cette énorme langue glaciaire par temps clair. Le pic principal de l’Illampu vient renforcer le caractère majestueux des lieux. Descente dans un chaos rocheux jusqu’à Campo Venado (4300 m alt.).

 

Au bivouac, le pied de Philippe offre un spectacle plutôt désolant. Son deuxième orteil est quasi éclaté. Le gros orteil est touché également. La suite du trek est-elle compromise pour lui ? Finalement, grâce aux soins prodigués soir et matin par Eric et Michelle, il pourra éviter l’infection, terminer courageusement le trek et même tenter l’ascension du Chachacomani.

Le trek se poursuit et longe Mina Susana, une mine d’argent et d’étain. Nous y avons l’occasion d’échanger quelques mots avec un mineur ; Henry nous sert d’interprète. Il travaille dans la mine depuis 40 ans. Il a commencé avec son père, dès l’âge de 13 ans. Le sort des mineurs boliviens est loin d’être enviable. La plupart d’entre eux meurent jeunes tellement les conditions de travail sont rudes et les normes de sécurité quasi inexistantes. La mine occupe toute une colline. Des anfractuosités apparaissent sur son versant par lesquelles les mineurs déversent le minerai. Les galeries s’y enfoncent horizontalement sur une centaine de mètres. La mine est gérée par une coopérative et emploie 14 mineurs.

La Bolivie ne profite que très peu de ses ressources minières. La plupart des minerais sont exportés à l’état brut, le pays n’étant malheureusement pas à même de les traiter lui-même.

Une rage de dent tenace a raison d’Annick. Accompagnés de Primo, notre assistant-guide, Michel et Annick empruntent la vallée menant au village de Millipaya où une voiture les ramènera à La Paz.

C’est donc un effectif réduit à six participants qui atteint le bivouac de Lojena (4360 m alt.).

Et là, surprise ! Henry nous a préparé une douche chaude ! Simple : un pulvérisateur rempli d’eau chaude raccordé à un pommeau. ‘Y a plus qu’à pomper ! Quel luxe !

La journée suivante se termine par un panorama de toute beauté sur le lac turquoise de San Francisco.

A proximité du campement, se trouvent des sources d’eau. Et zou, pourquoi se priver d’un  petit bain à 39°C à quasi l’altitude du Mont Blanc, surtout dans un cadre aussi sublime !

C’est pas tout ça ! L’étape qui nous attend est rude, marquée par le passage de trois cols qui frôlent les 5000 m d’altitude ! Quelques passages enneigés pour terminer et nous atteignons la Laguna Chojna Quta (4720 m alt.), l’une des plus belles « zones de couchage » de la Cordillère Royale.

Les deux journées suivantes nous font évoluer parmi d’immenses vallées, cols et pierriers de schiste.  Nous pouvons finalement camper au bord du lac Chiscacalliuani (ouf!) (4820 m alt.), dernière étape de notre trek.

Pensez-vous que nous en ayons terminé ? Oh que nenni ! En concoctant cet itinéraire dans la Cordillère Royale, Eric avait perçu que le Chachacomani et ses 6074 m d’altitude n’est plus très loin… Enfin, plus très loin !? Il nous faudra une journée de marche pour rejoindre et parcourir la vallée du Rio Chacha Kumani jusqu’au camp de base (4470 m alt.) et encore une bonne demi-journée pour atteindre, dans un chaos rocheux, le camp d’altitude à 5130 m. Et là, à nouveau, le spectacle qui s’offre à nous, nous fait oublier nos fatigues! Le campement est établi au bord du glacier qui plonge dans un petit lac d’un bleu turquoise laiteux ! L’endroit est tout simplement magique ! Deux guides de montagne, Hugo et Julio (surnommé El Tractor) ainsi que Benigno, aspirant-guide, nous ont accompagnés depuis le camp de base.

L’après-midi, avec nos guides, entraînement pour les uns, initiation pour les autres, à la marche sur glacier avec piolet et crampons. C’est raide mais ça tient !

Dodo à 18H ! Enfin, pour le dodo, c’est plutôt raté ! C’est le moment que choisit le vent pour se lever et secouer violemment la tente pendant toute la nuit ! De plus, la neige vient en rajouter une couche !

Qu’à cela ne tienne ! Réveil à minuit ; équipement ; petit déjeuner à 0H30. A 1h du matin, nous sommes quatre candidats au sommet, Eric, Philippe, Jean-François et moi. Avec nos trois guides, répartis en trois cordées, nous entamons la progression sur le glacier. L’allure me semble rapide dès le départ et j’ai du mal à trouver le bon rythme respiratoire. Après quelques temps, la pente s’adoucit quelque peu. Ouf, je récupère ! Nous évoluons évidemment dans l’obscurité complète, uniquement à la lueur de nos frontales. Benigno est devant. Lorsque Julio s’aperçoit qu’il ne prend pas la bonne direction, il l’apostrophe, lui fait un petit croquis dans la neige et tout rentre dans l’ordre. Mais comment fait-il ? Nous ne distinguons rien autour de nous à part quelques formes et ondulations dans la neige. Et de la neige, il y en a ! Même qu’on s’y enfonce régulièrement jusqu’aux genoux, voire plus. Certains passages doivent se faire à quatre pattes pour pouvoir se dégager. C’est vraiment éprouvant, exténuant ! Les guides attirent notre attention sur les crevasses, cachées par la neige. Lors d’une pause, nous réalisons que nous n’apercevons plus derrière nous les lumières des frontales de Jean-François et Hugo. Ils ont certainement rebroussé chemin. Nous continuons. A 5550 m, Philippe et moi, épuisés, déclarons forfait. Nous redescendons avec Benigno. Eric continue avec Julio. Par moment, ils s’enfonceront tellement dans la neige que Julio adoptera une nouvelle technique, le ramping ! El Tractor mérite bien son surnom ! Ils arriveront à 5980 m d’altitude et se trouveront bloqués par une immense crevasse, infranchissable, incontournable sans redescendre de façon conséquente pour mieux remonter ensuite, et enfin pouvoir atteindre la crête sommitale. C’en est trop ! Les deux hommes redescendront à la fois satisfaits et frustrés ! Si près du but… !

Le camp d’altitude est rejoint en début de matinée. Mais nous n’en avons pas terminé pour autant ! Il nous faut rejoindre le camp de base et ensuite parcourir en sens inverse toute la vallée du Rio Chacha Kumani jusqu’à Cruz Pampa où nous attendent Andrei et son minibus pour nous ramener  à La Paz. Longue journée !

A La Paz, nous retrouvons Anne pour un débriefing et évoquer avec elle notre nouvelle passion des Andes. Anne et Javier partagent ensuite avec nous un repas « Pena » accompagné de danses et chants traditionnels. Nous nous quittons avec, en mémoire, la devise d’Anne : « A chacun son thaki ! ».

Participants:Eric et Michelle Thille-Gyling, Michel Leveque et Annick Rouserez, Philippe Vandeveld et Anne-Marie Nyssen, Jean-François Bolle, Didier Winderickx.

Texte écrit par: Didier Winderickx.